BIANCA
DEMKIN



APPEL À PROJETS 2020
CATÉGORIE / MODE & DESIGN
PROJET / DENIMISTRY
Interview par Hélène Altmann







Il y a des idées dont on se dit « Pourquoi personne n’y a pensé avant ?? » Et il y a des personnes qui pensent « Et si je le faisais ? » Bianca Demkin est de celles-là. A tout juste 25 ans, après un master 2 section internationale Mode, Matière et Environnement à l’EnsAD) elle veut que le projet présenté en fin d’études soit plus et devienne un projet professionnel. Dans le monde du recyclage, celui du jean est souvent lié à la notion de patchwork. Pas assez novateur et surtout pas assez à grande échelle pour Bianca. Elle décide donc de recycler le jean autrement. Comment ? Tout simplement en prenant la matière brute, le tissu denim, pour produire du non tissé.

Denimistry est né.



Le jean, pourquoi ?

J’ai toujours essayé de recycler du jean. Le jean forcément : matière polluante, nombre de jeans produits etc…c’est la matière qui a produit l’industrie la plus polluante dans la mode.  J’étais toujours bloquée dans les systèmes de patchwork très réducteur et cliché. Le plus gros challenges était de trouver comment innover dans le domaine du recyclage. Le jean étant la matière la plus universelle, à base de coton, je me suis dit que c’était une excellente base. Comment transformer une matière pour la recycler en quelque chose de totalement nouveau et novateur.


Une vision tout de suite à grande échelle alors ? Ton projet d’études n’était pas seulement un projet de fin d’études.
Il faut une vision totale sinon on n’est qu’un designer artisan et dans le développement durable ce n’est pas suffisant. Il faut trouver des procédés reproductibles à l’échelle industrielle. Il faudrait que je dépose un brevet si la matière que je produis est viable mais pour le moment j’expérimente. Je mêle des concepts d’industries différentes.


La matière est nouvelle mais les process pour la produire existent déjà. Simplement ils ne sont pas utilisés dans la mode.
Oui. Bizarrement la mode cherche toujours l’innovation mais ne s’est pas intéressée au non tissé. Moi j’aime l’idée de recycler une fibre textile qui appartient à la mode, et la réintroduire dans la filière mode et habillement. Ce qui est génial aussi, c’est que cette technique permet d’avoir de pièces très abordables. Le recyclage ne doit être enfermé dans une vision à petite échelle. Il doit être accessible. Quand on voit les produits finis avec du non tissé on ne se doute pas que la matière a été créée de A à Z.


Vous commencez à communiquer sur la matière elle-même et les produits finis pour faire comprendre votre démarche ?
C’est cela. Il faut que les consommateurs comprennent que ce qu’ils voient est totalement nouveau. Le non tissé permet différents coloris, différentes épaisseurs, on peut aussi bien faire un jean, évidemment, qu’un sac ou des chaussures. Il y a eu énormément de recherches en laboratoire avant d’arriver au non tissé mais une fois qu’on l’a, les possibilités sont infinies.


Vous visez le grand public, les consommateurs potentiels ou les fabricants de jean ?
Les deux ! Il faut éduquer les gens. Quand j’ai parlé du projet j’ai eu la chance d’avoir avec moi les marques Atelier Tufery et 1083. Ils ont été enthousiasmés par le projet et m’ont donné des chutes de jean.


Le plus gros problème rencontré ?
L’argent. Pour changer. Le non tissé nécessite d’être produit à grande échelle. Il faut donc que je trouve un partenaire dans le domaine du non tissé pour jouer le jeu. Dans le non tissé la technologie sert surtout pour des vêtements chirurgicaux, les masques par exemple en ce moment. Si on veut produire du jean il faut que je passe de l’échantillonnage comme je l’ai fait pour mon projet à une échelle beaucoup plus grande. Pour produire en grande quantité il faut un investissement. Convaincre que les machines peuvent servir à produire du jean. Convaincre les acteurs de l’industrie en premier.


Comment avez-vous fait pour faire de l’échantillonnage si le non tissé est produit à grande échelle ?
J’ai eu la chance, encore, de pouvoir aller à Roubaix sur un plateforme qui s’appelle le cent, centre dédié au développement des non tissés. Les matières sont intermédiaires. L’accès à la plateforme est payant. En tant qu’étudiante j’ai pu y aller gratuitement et j’ai là encore été aidée par un ingénieur, Philippe Vroman. Lui-même travaillait déjà sur la problématique du recyclage textile par le non tissé. Il m’a donc invité à venir le rencontrer à l'École nationale supérieure des arts et industries textiles (ENSAIT) à Roubaix, là où il est enseignant-chercheur spécialiste en non-tissé. Je lui ai présenté plus en détail le projet et ensemble nous avons convenu d’un “format” de collaboration. Il m’a proposé de revenir durant 2 jours pour avoir accès à une plateforme d’essai de non-tissé appelée le CENT (Centre Européen des Non Tissés), qui appartient conjointement à l'IFTH et l’ENSAIT et située à Tourcoing.
Durant deux jours, j’ai donc eu accès à cette plateforme où se trouvent de vraies lignes de production de machines semi-industrielles en non-tissés et avec Philippe et l’équipe technique du CENT nous avons transformé une dizaine de kilos de jeans en étoffes de non-tissé. J’ai vu comme c’était facile de produire la matière. C’était rapide, facile pour les techniciens. C’était incroyable. Cela prenait vie. Il faut juste que je trouve des gens qui croient en mon projet.


Chez Wisewomen, c’est déjà le cas ?
Oui je suis tellement contente. C’est l’EnsAD qui nous a parlé du projet de mentoring et je me suis tout de suite inscrite. J’ai hâte de faire les rencontres.


Un projet d’études qui devient un projet de vie…
J’aimerais…Quand je suis ressortie des ateliers à Roubaix, avec mes matières, je me suis dit j’ai quelque chose. J’ai poussé le projet ltoute seule le plus loin possible, il me faut de l’accompagnement. Le seul moyen de continuer dans la mode de c’est de prendre le chemin de l’écoresponsabilité. Il faut repenser le système de la mode. C’est ce que je veux faire en repensant tout, de la matière aux pièces, du jean aux accessoires.
Je ne veux pas travailler dans l’industrie de la mode si c’est avec des maisons qui n’ont aucune conscience responsable.  Je suis très enthousiaste à l’idée de participer au tournant majeur que l’industrie de la mode doit indéniablement prendre, et suis convaincue que le développement durable est un réel sujet stratégique, un sujet d’innovation si évident qu’il doit faire partie intégrante de notre démarche, designers et entrepreneurs de demain.


Quelle a été la plus grande difficulté du projet Denimistry ?
J’ai dessiné tous les modèles. Le tailleur n’a pas été facile mais j’ai été aidée. Encore. Je voulais absolument faire des chaussures et là, pour faire le prototype, j’ai eu du mal. Mais j’ai fini par trouver une cordonnière incroyable.  Les chaussures sont là.



Où vous voyez-vous dans 5, 10 ans ?
Soit j’avance à développer mon projet au niveau industriel, soit dans une entreprise, en recherche pour un design durable. Dans tous les cas développer cette idée le plus possible.
Ce projet m’a appris qu’il fallait oser.


C’est en faisant des rencontres qu’on avance. C’est valable dans les deux sens. Et Bianca a déjà tellement avancé vite et bien toute seule qu’elle va bientôt pouvoir chausser ses bottes de 7 lieues, en jean non tissé bien sûr.





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